Réinsertion des auteurs d’infractions à caractère sexuel : réflexion et échanges avec un responsable d’une communauté d’Emmaüs en région Centre-Val de Loire (France)

Rehabilitation of sexual offenders: perspectives and testimony of the manager of an Emmaüs community in the Centre-Val de Loire region (France)

LETTER TO THE EDITOR

Robert Courtois 1,2, Emmanuel Mozas 1,3, Ingrid Bertsch 1,2,3

1 Université de Tours Département de Psychologie, EE ‘Qualité de vie et santé psychologique’ (Qualipsy), Tours, France

2 CHRU de Tours, CRIAVS Centre-Val de Loire, Clinique Psychiatrique Universitaire, Tours, France

3 CHRU de Tours, Unité Sanitaire, Maison d’Arrêt, Tours, France

Cite: Courtois, R., Mozas, E., & Bertsch, I. (2018). Rehabilitation of sexual offenders: Perspectives and testimony of the manager of an Emmaüs community in the Centre-Val de Loire region (France). International Journal of Risk and Recovery1(3), 30–33.

Cher Editeur,

Les personnes accueillies dans une communauté d’Emmaüs représentent une population très diverse au sein de laquelle il peut y avoir des auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS). Ces communautés offrent théoriquement à toutes per- sonnes, y compris celles qui ont des antécédents judiciaires, la possibilité de les rejoindre pourvu qu’en échange, elles puissent travailler pour faire vivre la collectivité. Nous proposons d’aborder cette question à travers trois vignettes brèves.

Illustration clinique

Monsieur Hervé M., âgé de 40 ans, a déjà été condamné à plusieurs reprises, pour défauts de titre de transport, vols, violence sur mineur de 15 ans, menaces de mort et actes d’intimidation commis contre les personnes exerçant une fonction publique et récemment pour une infraction à caractère sexuel. Il est suivi pour une schizophrénie et présente des hallucinations cénesthésiques importantes (il est notamment persuadé qu’il y a des femmes qui essaient de « lui tripoter le sexe quand il va pisser »). Ces dernières années, il a alterné des hospitalisations en service de psychiatrie et des périodes où il a « repris la route », vivant soit comme sans domicile-fixe (SDF), soit dans des communautés d’Emmaüs à travers toute la France. Sa résidence la plus stable est une clinique de psychothérapie institutionnelle en région Centre où il est actuellement hospitalisé. Il a commis une agression sexuelle sur une femme dans un train et est en attente d’être jugé, mais l’expertise psychiatrique a retenu l’existence d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes (au sens où l’entend l’article 122-1, alinéa 1, du Code Pénal) du fait d’une recrudescence des symptômes psychotiques au moment des faits.

Monsieur José C., âgé de 58 ans, vit dans une communauté d’Emmaüs depuis l’âge de 20 ans – au retour du service militaire, après avoir connu une période de dépendance à l’alcool et s’être retrouvé à la rue sans aucune ressource. Il a fait récemment un voyage en Thaïlande avec un « compagnon » de la communauté qui a réussi à le convaincre de l’accompagner, et qui lui y va apparemment tous les ans. Sur place, Monsieur C. s’est senti déstabilisé par rapport à une perte totale de ses repères habituels, isolé et démuni face à une langue étrangère, incapable de communiquer en anglais. Il a recommencé à consommer de l’alcool pour lutter contre son angoisse alors qu’il était abstinent depuis près de 30 ans. C’est dans ce con- texte qu’il explique avoir entendu des voix qui lui disaient qu’il n’« est qu’un alcoolo et un pédéraste », alors qu’il jure n’avoir rien fait aux enfants en compagnie desquels il était. Il a été rapatrié dans un con- texte d’état psychotique aigu, mis sur le compte des effets secondaires d’un anti- paludéen. Cette situation n’a été abordée qu’au niveau du service des Urgences qui l’a reçu et n’a pas fait l’objet d’investigation policière ou judiciaire. Mais il semble qu’il n’avait aucun antécédent judiciaire et c’est sans doute la personne qu’il accompagnait qui elle fait du « tourisme sexuel » régulièrement.

La situation d’Antoine D., âgé de 20 ans, invite à mettre en valeur cet aspect étayant de la communauté. Il a été incarcéré adolescent pour des faits d’agressions sexuelles commis en famille d’accueil. Avant cette incarcération, il suivait péniblement un parcours scolaire classique sur l’insistance de ses parents. Il présente les symptômes d’un retard de développement précoce tant sur le plan moteur que psychique. Très carencé affectivement, il sollicite un étayage et un accompagnement important. Sans solution d’hébergement à sa majorité, il a intégré la communauté d’Emmaüs en sortant de détention. La communauté l’a accompagné progressivement vers une formation professionnelle qui doit à terme l’amener à quitter la communauté puisqu’il ne pourra plus y travailler. C’est face à l’imminence de cet éloignement du groupe qui le sou- tient, qu’Antoine a agressé de nouveau sexuellement une adolescente. Il a été réincarcéré et transféré vers un service d’hospitalisation psychiatrique en milieu pénitentiaire.

Les communautés d’Emmaüs

Les personnes présentées dans ces trois vignettes ont chaque fois bénéficié de la prise en charge de la communauté d’Emmaüs. Ce type de communauté de vie peut accueillir une population très hétérogène au sein de laquelle il peut y avoir des auteurs d’infraction à caractère sexuel (AICS) ou plus largement des personnes avec des antécédents délictueux ou criminels. Certains des résidents peuvent aussi souffrir de troubles psychiques si ceux-ci sont suffisamment stabilisés et ne contrindiquent pas la vie en collectivité. Ces communautés offrent théoriquement à toute personne la possibilité de les rejoindre pourvu qu’en échange elle puisse travailler pour faire vivre la collectivité. La compétence n’est pas nécessairement requise, car le travail est adapté aux possibilités de chacun.

Dans une partie de sa maison qui était trop grande pour lui, l’abbé Pierre (prêtre catholique et député de Meurthe-et- Moselle, département français de la région Grand Est) crée en 1949 une auberge de jeunesse internationale qu’il appelle « Emmaüs ». C’est l’origine de la communauté Emmaüs et de ses « compagnons » qui vont vraiment s’organiser au cours de l’hiver 1954 qui sera très rude et porter assistance à des personnes dans le besoin dans un contexte de pénurie de logements après la seconde guerre mondiale. Ce mouvement associatif qui se veut neutre sur le plan religieux et poli- tique s’étendra au fur et à mesure dans plus de 40 pays à travers le monde. Les communautés d’Emmaüs ont pour but d’accueillir toute forme d’exclusion sociale et d’offrir un lieu de vie à des personnes qui ont besoin de se reconstruire sociale- ment sans jugement de ce qu’elles sont ou de leurs origines. Depuis 2009, sous l’influence de Martin Hirsch, Haut- commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, elles disposent d’un statut reconnu par l’État et les « compagnons d’Emmaüs » bénéficient d’un revenu de solidarité active.

Le responsable d’une communauté d’Emmaüs en région Centre-Val de Loire que nous avons rencontré se défend de gérer un organisme de réinsertion, même s’il reconnaît que la communauté contribue au bien-être des personnes qu’elle accueille et vise dans la mesure du possible à leur réinsertion sociale. Cette réinsertion n’est pas un objectif posé comme tel avec des moyens spécifiques pour y parvenir et la communauté ne veut pas se situer dans une volonté de prise en charge individuelle de ses membres, mais seule- ment dans une entraide de tous ceux qui le demandent. Il explique qu’il gère une communauté de 50 places avec un agrément d’hébergement social de 46 chambres et des allocations personnelles de 340 € par personne. Le cadre et les règles sont simples en apparence : le compagnon accueilli n’est pas interrogé sur son passé et peut demeurer dans la communauté autant de temps qu’il le souhaite, à condition qu’il contribue à la faire vivre par son travail et qu’il respecte les règles de vie commune. Il se vit par nécessité comme un gestionnaire, voire un chef d’entreprise qui doit aussi se préoccuper du maintien et développement de sa communauté. Il veille d’abord au bon fonctionnement collectif, au maintien d’une certaine sérénité entre tous, à l’équilibre des groupes ou catégories de personnes spécifiques (comme par exemple les fa- milles avec enfants jeunes, les couples, les très jeunes adultes, les « sortants de prison », les personnes étrangères issues d’un même territoire géographique, etc.), à tous les facteurs qui peuvent contribuer à la stabilité de son organisation et à sa longévité. Il insiste pour souligner que l’équilibre communautaire reste toujours fragile tant sur un plan socio-économique que des interactions sociales entre membres de la communauté.

Cette communauté d’Emmaüs a une grande « longévité » et certains « compagnons » choisissant d’y demeurer parce qu’ils y avaient trouvé un cadre contenant, stable et serein. De fait, le responsable de la communauté dit devoir faire face à des défis que lui et son équipe de direction ne s’étaient pas posés antérieurement comme le vieillissement de certains de ses membres ou compagnons qui vivent là depuis des décennies, mais qui ne peuvent plus justifier d’y rester en contrepartie du travail qu’ils apportent. C’est pour cela qu’il a développé un projet de « pension familiale » de 24 places en lien avec la Direction départementale de la cohésion sociale et l’Office public de l’habitat à loyer modéré (OPHLM). Ce projet prévoit de réserver deux tiers de places pour les per- sonnes retraitées et un tiers pour des per- sonnes en situation de vulnérabilité psychologique. Ces personnes auront en commun le fait de ne plus pouvoir participer à l’équilibre économique de la communauté, du fait essentiellement de leur âge. De manière officieuse, il s’est autorisé à dire qu’il s’agissait pratiquement d’un projet d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

L’accueil d’AICS dans une communauté d’Emmaüs

Cette communauté d’Emmaüs accueille des personnes âgées de 50 ans en moyenne. Beaucoup d’entre elles ont des difficultés des compétences psychosociales : difficultés dans la mise en place de leur socialisation et maturation sociale, conséquences traumatiques d’évènements vécus, parcours délictuels associés à des formes de désocialisation, etc. L’équipe de direction de la communauté a passé un accord avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Cela lui a permis aussi de poser « ses limites » et par exemple de ne pas accueillir une personne condamnée pour pyromanie du fait du risque pour la communauté, ni de violence aux enfants du fait de l’accueil de familles de manière occasionnelle. Elle entretient également des liens avec le centre médico-psychologique de son secteur (CMP) pour faciliter l’accès aux soins, mais sans se substituer à la personne accueillie et sans se préoccuper de son suivi. La communauté dit ne pas souhaiter basculer dans une forme complète d’assistanat. Elle soutient par exemple des activités individuelles extérieures en remboursant la moitié des frais engagés, organise quelques activités in- ternes (parfois sous forme de séjours), mais ne souhaite pas se substituer à la vie sociale que ses membres doivent organiser ou non pour leur propre compte. Les personnes accueillies après avoir étaient condamnées doivent demeurer une minorité (accueil d’une personne à deux par an, en fonction des places). L’accompagnement que la communauté Emmaüs souhaite faire ne devrait être que générale et non spécifique, même si dans la réalité, certains des « compagnons » qui s’installent vont mettre en place des relations privilégiées et recevoir aussi une aide plus personnifiée. La communauté accueille une assistante sociale qui tient des permanences et peut avoir recours à une juriste pour s’occuper de la régularisation de certains papiers via une association de regroupements des différentes communautés. Elle a développé des liens avec l’association « Entraide ouvrière » (aujourd’hui dénommé « Entraide et Solidarités ») locale avec des possibilités de passerelle vers leurs unités d’accueil sans passer par le « 115 » et réciproquement quand ils ont des personnes qu’ils accueil- lent depuis longtemps.

Conclusion

Les auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) ont besoin d’avoir des lieux de vies qui peuvent les accueillir. Ils ne sont pas si nombreux, surtout en cas de violences intrafamiliales. Ces personnes AICS vont alors cumuler des difficultés multiples : faibles ressources financières, faible niveau d’étude et de formation, aux- quelles seront associées des difficultés de réinsertion sociale à la sortie de détention, qu’il s’agisse du problème de logement ou de l’accès à l’emploi et des difficultés familiales liées aux violences et à l’incarcération [1-3]. Ces difficultés peu- vent représenter autant de facteurs de risque de récidive de l’acte délictuel ou criminel pour lequel ils ont été condamnés. En ce sens, l’accueil dans une communauté de vie peut représenter une forme de « protection » par la dimension contenante qu’elle représente ou simplement les interactions sociales qu’elle permet [4,5]. Mais, encore une fois, le maintien de ce cadre favorable aux AICS qui n’ont pas d’autres solutions d’hébergement ou de lieux de vie n’est possible que si l’équilibre communautaire est préservé. L’intérêt d’un individu ne doit pas mettre en péril celui de l’institution et des personnes qu’elle accueille.

Si on retient une possibilité d’étayage et de contenance des personnes AICS par les communautés d’Emmaüs, la régulation et réhabilitation sociale qu’elles permettent se rapprochent de ce qui est mis en place dans le cadre des cercles de soutien et responsabilité (CSR) qui se développent progressivement en France, dans la logique plus large des Good life model [6]. Mais malgré les choix militants qu’elles font, ces communautés ne sont donc pas une garantie totale contre la reprise d’une carrière délinquante criminelle. Elles offrent uniquement ce qu’elles peuvent offrir, à savoir l’intégration dans une communauté de vie et un retour au sein de la société tout en y vivant relativement en marge. En ce sens, elles peuvent participer à une forme de désistance [7].

Conflit d’intérêt : aucun

Références

  1. Bertsch I, Marcel D, Larroque I, Chouli B, Prat S, Courtois R. Prévenir la récidive de violence sexuelle en s’intéressant aux conditions de sortie de détention des auteurs d’infractions à caractère sexuel en France ? Presse Med 2017;46(5):544-45.
  2. Kensey A. Que sait-on de la situation socioéconomique des sortants de prison? Revue du MAUSS 2012;40(2):147-60.
  3. Maestracci N. Repenser la sortie de prison. Revue du MAUSS 2012;40(2):202-12.
  4. Cortoni F. Prévenir la récidive: les programmes correctionnels. Paris, France: Conférence de consensus sur la prévention de la récidive. 2013. (consulté le 12 décembre 2018)
  5. de Vogel V, de Vries Robbé M, de Ruiter C, Bouman YHA. Assessing protective factors in forensic psychiatric practice: introducing the SAPROF. Int J Forensic Ment Health 2011;10(3):171-7.
  6. Ward T, Brown M. The good lives model and conceptual issues in offender rehabilitation. Psychol Crime Law 2004;10(3):243-57.
  7. Willis GM, Levenson JS, Ward T. Desistance and attitudes towards sex offenders: Facilitation or hindrance? J Fam Violence 2010;25(6):545- 56.

Auteur correspondant

Robert Courtois, CHRU de Tours, CRIAVS Centre-Val de Loire, Clinique Psychiatrique Universitaire, 37044 Tours cedex 9, France – email: robert.courtois@univ-tours.fr

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