Alexithymie, distorsions cognitives et violence sexuelle sur mineurs : une étude exploratoire

Alexithymia, Cognitive Distortions and Child Sexual Offending: An Exploratory Study

ORIGINAL ARTICLE

Maxime Escarguel1, Benoit Testé2, Massil Benbouriche1,3

1 Université Lille, ULR 4072 – PSITEC – Psychologie : Interactions, Temps, Émotions, Cognition F-59000 Lille, France; 2 Université Rennes 2, EA 1285 – LP3C – Laboratoire de Psychologie : Cognition, Comportement, Communication F-35043 Rennes, France; 3 Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, Montréal, Québec

Cite: Escarguel, M., Testé, B., et Benbouriche, M. (2022). « Alexithymie, distorsions cognitives et violence sexuelle sur mineurs : une étude exploratoire ». International Journal of Risk and Recovery, vol. 5, no. 2, pp. 23-31. https://www.forensicpsychiatryinstitute.com/alexithymie-distorsions-cognitives-et-violence-sexuelle-sur-mineurs/

Cette étude porte sur le traitement de l’information chez des auteurs de violence sexuelle (AVS) sur mineurs à la fois sur le plan cognitif, avec les distorsions cognitives, et sur le plan émotionnel, avec l’alexithymie. La recherche a été menée sur 20 hommes auteurs de violence sexuelle sur mineurs. Un questionnaire auto-rapporté a servi à mesurer l’alexithymie et les distorsions cognitives. Les résultats soulignent des niveaux élevés d’alexithymie et de distorsions cognitives. Les AVS en milieu fermé ont un score significativement plus élevé sur le facteur émotionnel de l’alexithymie que les AVS en milieu ouvert. Les données semblent indiquer des déficits dans le traitement de l’information sociale chez les AVS sur mineurs. Cette étude souligne l’importance d’adapter l’offre de soins en fonction des déficits, mais également du lieu de prise en charge et des ressources des patients.

Mots-clés : violence sexuelle, traitement de l’information, alexithymie, distorsions cognitives

Current research on sexual violence is interested in social information processing among those who engage in this behaviour, particularly cognitive distortions and emotional deficits like alexithymia. The sample included 20 individuals who had sexually offended against children who took part in this cross-sectional research. We examined self-report scales to measure alexithymic deficits and cognitive distortions. Descriptive statistics of the whole sample showed a high average level of alextihymia and cognitive distortions. Mean comparisons showed some differences about range of alexithymia level between the offending sample and outpatient participants, particularly on the emotional factor. In line with the literature, our study findings suggest high levels of alexithymia and cognitive distortions among those who sexually offended against children. Our study has implications for understanding emotional information processing deficits in this group, the role of context on these deficits, amd thus the allocation of treatment modules to reduce offending behaviour.

Keywords: sexual violence, information processing, alexithymia, cognitive distortions

La volonté d’appréhender les facteurs participant à l’agression sexuelle a amené les chercheurs à s’intéresser au traitement de l’information sociale chez les auteurs de violence sexuelle (AVS), classiquement par l’entremise des distorsions cognitives, mais également par l’étude des compétences émotionnelles. Les AVS tendent à présenter des difficultés dans la gestion de leurs vécus émotionnels (Gillespie et al., 2015), et notamment par l’expérience d’émotions négatives telles que la colère (Velotti et al., 2017). Dans cette perspective, le concept d’alexithymie fait l’objet d’un certain intérêt en ce sens qu’il traduit un traitement cognitif déficitaire de l’information émotionnelle (Luminet et al., 2003) et pourrait être associé à la dynamique des violences sexuelles.

Alexithymie

Le terme d’alexithymie a été proposé (Sifneos, 1973) afin de rendre compte d’un dysfonctionnement dans le traitement cognitif des émotions. La littérature définit quatre dimensions de l’alexithymie :

  1. une difficulté à identifier et à distinguer les états émotionnels;
  2. une difficulté à verbaliser les états émotionnels à autrui;
  3. une vie fantasmatique réduite;
  4. un mode de pensée opératoire (Taylor et al., 1997).

Bermond et al. (2007) considèrent une cinquième dimension relative aux difficultés à réagir face à une situation émotionnelle.

L’alexithymie est un construit dimensionnel qui se manifeste tant au sein de populations cliniques qu’au sein de la population générale (Deborde et al., 2004). Plusieurs recherches ont étudié l’alexithymie auprès de populations incarcérées, et les résultats y montrent une prévalence plus importante que dans la population générale (Gillespie et al., 2018), notamment en ce qui concerne l’identification des états émotionnels (Garofalo et al., 2017). Dans le champ de la violence sexuelle, l’alexithymie reste peu examinée, même si une étude récente tend à montrer une prévalence plus élevée de ces déficits parmi des AVS comparativement à la population générale (Gillespie et al., 2018).

Distorsions cognitives

Le terme de distorsion cognitive, introduit par les travaux de Beck, a été défini comme des contenus de pensées irréalistes et dysfonctionnelles (Cottraux, 2011). Dans le champ de la violence sexuelle, les distorsions cognitives font référence aux croyances sur les comportements sexuels, notamment dans une perspective de rationalisation et de justification (Benbouriche et al., 2013). La littérature mobilise ce construit comme étant un élément central de l’étiologie des violences sexuelles (Vanderstukken et al., 2015), notamment, l’idée que les AVS sur mineurs partageraient un ensemble de croyances spécifiques quant aux comportements sexuels. Dans ce sens, Marshall et al., (2001) soulignent que ces distorsions cognitives pourraient être associées à des déficits dans l’identification des émotions et ainsi altérer le traitement de l’information pouvant conduire à des comportements dysfonctionnels tels que la violence sexuelle.

Bien que le rôle des distorsions cognitives dans la violence sexuelle soit sujet à débat (Benbouriche et al., 2013), leur mesure reste essentielle tant pour préciser le rôle de ces distorsions dans le traitement de l’information par les AVS que pour adapter la prise en charge de ces personnes (Gannon & Polaschek, 2006).

Objectifs de l’étude

Plusieurs objectifs ont été poursuivis :

  1. évaluer le niveau d’alexithymie et de distorsions cognitives chez des AVS sur mineurs;
  2. étudier les liens entre ces deux construits;
  3. comparer si les niveaux de distorsions cognitives et d’alexithymie varient en fonction du lieu de prise en charge (milieu ouvert ou milieu fermé), de l’état de récidive et des antécédents de victimation sexuelle.

Bien qu’exploratoire, en raison de l’échantillon, ce troisième objectif repose sur des données tirées de la littérature quant aux liens entre ces facteurs et les violences sexuelles.

Méthode

Participants

L’échantillon était composé de 20 hommes AVS sur mineurs (M = 50 ans; Min = 30 ans; Max = 72 ans; E.T. = 13,11) recrutés en milieu fermé, au sein d’une Maison d’arrêt (n = 11), et en milieu ouvert, au sein d’un Centre ressources pour intervenants auprès d’auteurs de violence sexuelle (CRIAVS) (n = 9).

Mesure

L’alexithymie a été mesurée à partir du Bermond and Vorst Alexithymia Questionnaire (BVAQ) (Bermond et al., 2007), traduit et validé en français (Zech et al., 1999). Le BVAQ (α = 0,73) est composé de 40 items répartis en cinq dimensions. Les items sont cotés au moyen d’une échelle de type Likert en cinq points (1 = tout à fait d’accord; 5 = pas du tout d’accord). Plus le score est élevé et plus l’alexithymie est importante. La littérature (Bermond et al., 2007) montre une structure à deux facteurs de l’alexithymie, ce qui permet de calculer deux scores respectifs.

L’évaluation des distorsions cognitives a été réalisée à partir de l’échelle Molest Scale (Bumby, 1996) et de sa traduction française (Vanderstukken et al., 2005). Cette échelle (α = 0,90) est composée de 38 énoncés affirmatifs. Les participants ont pour consigne de répondre selon le sentiment que l’énoncé suscite en eux sur la base d’une échelle de type Likert en quatre points (1 = fortement en désaccord; 4 = fortement en accord). Un score élevé correspond à une forte présence de distorsions cognitives.

Procédure

L’étude a été menée individuellement auprès de tous les participants et selon la même procédure, en milieu ouvert et en milieu fermé. Dans un bureau spécifique, et après avoir pris connaissance du formulaire d’information et de consentement, les participants ont rempli le questionnaire autorapporté.

Analyses statistiques

En raison de la taille de l’échantillon, toutes les analyses ont été réalisées en non paramétrique.

Résultats

Analyse descriptive 

La description de l’échantillon (voir Tableau 1) souligne que pour la qualification de viol (n = 6), cinq des six participants étaient en milieu fermé. Pour l’infraction d’agression sexuelle (n = 14), la répartition est plus homogène, avec six participants en milieu fermé, et huit en milieu ouvert. Concernant les antécédents de victimation sexuelle (n = 7), cinq des participants qui ont déclaré ce type d’antécédent étaient en milieu fermé. Enfin, tous les participants en état de récidive d’infraction à caractère sexuel (n = 4) étaient en détention au moment de l’étude.

Tableau 1
Description des participants en fonction de différentes variables relatives au parcours judiciaire

Les analyses descriptives (voir Tableau 2) montrent un score global médian d’alexithymie de 104 (Med = 104; Mode = 99; Min = 73; Max = 132). En ce qui a trait aux cinq sous-dimensions (voir Tableau 1), le score médian le plus faible est de 18 pour la dimension relative à la « Pensée opératoire » (MedA = 18; Mode = 11; Min = 11; Max = 29), tandis que le score médian le plus élevé concerne la dimension « Difficulté à décrire ses émotions » (MedV = 24; Mode = 24; Min = 12; Max = 35). En ce qui concerne les distorsions cognitives, le score médian est de 78, avec une grande variabilité allant presque du simple ou double selon les participants (Med = 78; Mode = 82; Min = 52; Max = 101) (voir Tableau 2).

Tableau 2
Données descriptives pour le score moyen au Bermond and Vorst Alexithymia Questionnaire (BVAQ) et ses sous-dimensions, et à la Molest Scale

Tableau 3
Détail des corrélations (Rho) entre le Bermond and Vorst Alexithymia Questionnaire (BVAQ) et ses sous-dimensions, et la Molest Scale

Analyse corrélationnelle

Une analyse corrélationnelle a été réalisée, avec le coefficient Rho de Spearman, afin d’étu-
dier les liens entre le BVAQ et la Molest Scale (voir Tableau 3). Les résultats soulignent une absence de corrélation significative entre les deux échelles (Rho = 0,291; p = 0,212). Cependant, une corrélation positive significative existe entre le facteur
cognitif du BVAQ et de la Molest Scale (Rho = 0,447; p = 0,048) et plus particulièrement avec la dimension I, relative à la difficulté d’identifier ses émotions (Rho = 0,536; p = 0,015).

Comparaison de moyennes

Les auteurs de viol et les auteurs d’agression sexuelle ne diffèrent pas significativement quant à leurs scores pour l’alexithymie (U = 53,00; p = 0,397) et pour les distorsions cognitives (U = 38,00; p = 0,779). Les résultats soulignent que les participants en état de récidive d’infraction sexuelle ont un rang moyen de distorsions cognitives (M = 5) significativement plus faible que les participants sans antécédent (M = 11,88; U = 54,00; p = 0,039). Les participants ne présentent aucune différence significative selon leur antécédent de victimation sexuelle, notamment pour l’alexithymie (U = 29,50; p = 0,211).
Enfin, les analyses ne montrent pas de différences significatives entre les deux groupes pour le score total d’alexithymie (U = 60,50; p = 0,412) et de distorsions cognitives (U = 35,00; p = 0,295) en fonction du lieu de prise en charge. Cependant, en ce qui concerne le détail du BVAQ, les résultats montrent une différence significative sur le facteur émotionnel de l’alexithymie (U = 80,00; p = 0,020). En effet, les participants en milieu fermé ont un rang moyen plus élevé sur ce facteur émotionnel (M = 47,45; E.T. = 9,38) que les participants en milieu ouvert (M = 37,44; E.T. = 6,82). Plus particulièrement, ces différences portent sur la dimension « Pauvreté de la vie imaginaire » (U = 76,00; p = 0,044), pour laquelle le rang moyen est plus élevé pour le groupe en milieu fermé (M = 25,36; E.T. = 5,82) que le groupe en milieu ouvert (M = 19,67; E.T. = 5,32).

Discussion

Cette recherche avait pour principaux objectifs d’étudier le niveau d’alexithymie et de distorsions cognitives chez des AVS sur mineurs, ainsi que les relations entre ces deux variables. Enfin, nous nous sommes intéressés aux différences que pourraient présenter ces variables en fonction du lieu de prise en charge, des antécédents de récidive et de victimation sexuelle.

Bien que peu d’études aient examiné l’alexithymie d’AVS sur mineurs, notre recherche permet de mettre en évidence un niveau élevé d’alexithymie. En effet, les données issues de la population générale montrent en moyenne un score au BVAQ inférieur à 70 (Preece et al., 2020), tandis que le score moyen pour une population d’AVS est généralement supérieur à 100 (Hornsveld & de Kruyk, 2005). Ces données concordent avec la littérature, qui souligne les liens entre alexithymie et violence sexuelle (Gillespie et al., 2018) et particulièrement en ce qui concerne la dimension relative à la compréhension et à la verbalisation de ses états émotionnels. En ce qui a trait aux distorsions cognitives, le score médian obtenu dans notre recherche concorde avec les données de la littérature quant à la prévalence élevée au sein d’une même population et mesurée par le même outil. Ces études (Arkowitz & Vess, 2003; Daspe et al., 2017) tendent à montrer un score moyen de distorsions cognitives des AVS sur mineurs supérieur à 65 sur la Molest Scale, ce qui est conforme à nos résultats, qui soulignent une adhésion médiane supérieure à ce seuil. De plus, les études montrent que le niveau de distorsions cognitives spécifiques aux enfants diffère en fonction du type de passage à l’acte. Ainsi, les AVS sur mineurs se caractérisent par une adhésion plus importante à ce type de croyances comparativement à des AVS sur adultes ou à des auteurs de violence non sexuelle (Feelgood et al., 2005). Ces résultats confirment donc la présence de déficits du traitement de l’information chez les AVS, tant d’un point de vue cognitif, avec la présence de croyances erronées, que du point de vue émotionnel, avec une forte alexithymie.

Par ailleurs, les résultats mettent en évidence que les distorsions cognitives sont associées positivement au facteur cognitif de l’alexithymie. L’alexithymie représente un mode spécifique de traitement cognitif de l’information émotionnelle (Luminet et al., 2003) qui privilégie les aspects concrets de la vie et qui se caractérise par des déficits dans le traitement interne des informations émotionnelles. Ainsi, le facteur cognitif de l’alexithymie traduirait plus particulièrement une orientation du traitement des informations vers celles de nature cognitive au détriment de celles de nature émotionnelle. L’alexithymie représenterait de fait un biais dans le traitement et la perception des expériences émotionnelles (Frawley & Smith, 2001).

La comparaison en fonction du lieu de prise en charge a souligné des différences quant aux scores d’alexithymie uniquement sur le facteur émotionnel. Les AVS en milieu fermé ont montré des déficits plus élevés sur le facteur émotionnel que ceux en milieu ouvert. Cette différence pourrait s’expliquer, notamment, par l’effet spécifique du contexte de détention sur des processus psychologiques. Un rapport d’Archer et al. (2008) a mis en évidence les conséquences de l’incarcération sur la santé physique et mentale des détenus. De plus, une étude a souligné les effets délétères de l’incarcération sur la santé mentale, notamment en ce qui concerne le vécu émotionnel (Van Harreveld et al., 2007). Ainsi, nous supposons que l’état d’incarcération peut influencer la capacité de l’individu à accéder à son vécu émotionnel et, notamment, à mobiliser l’imagination et la rêverie. Le contexte de vie d’une personne pourrait avoir un effet plus ou moins facilitateur dans l’apparition de déficits émotionnels associés à l’alexithymie. Bien que l’alexithymie soit conceptualisée comme un trait de personnalité stable (de Bruin, et al., 2019), notre recherche porte à croire qu’elle peut également être un état transitoire influencé par les conditions psychologiques ou physiques de l’individu et représenter un moyen pour celui-ci de faire face à un contexte de vulnérabilité (Kojima, 2012).

Les données ne montrent aucune différence en termes d’alexithymie selon la présence ou non d’antécédent de victimation sexuelle. La littérature souligne pourtant une association entre les expériences traumatiques (négligences physiques ou émotionnelles, abus sexuels) et l’alexithymie (Brown et al., 2016). Ces expériences pouvant contribuer à différents déficits dans le traitement émotionnel tels que l’alexithymie (Hawkins et al., 2021). Au regard des données sur la prévalence élevée des abus durant l’enfance chez les AVS (Levenson et al., 2016), nous pouvons supposer que la part des sujets de notre échantillon présentant des expériences traumatiques antérieures était plus grande que la part présentant la seule victimation sexuelle mesurée, ce qui pourrait expliquer qu’aucune différence n’ait été trouvée sur le plan de l’alexithymie.

Enfin, les résultats montrent que les participants en état de récidive sexuelle présentent un niveau de distorsions cognitives inférieur aux primodélinquants. Bien que la littérature souligne l’absence de caractère prédictif des distorsions cognitives sur la récidive d’infraction à caractère sexuel sur mineurs (Marshall et al., 2001), une plus faible présence de distorsions chez les auteurs récidivistes interroge. Une hypothèse tiendrait à la capacité de certains AVS à adopter des stratégies adaptatives pour leurs réponses à ce type de mesure. Ainsi, les AVS récidivistes pourraient bénéficier d’un effet d’apprentissage à mesure qu’ils sont soumis à ce type d’étude, et ainsi percevoir et identifier les attentes sociales et les normes en la matière. Ce phénomène dit de clairvoyance normative est défini comme la connaissance du cadre normatif, et par conséquent du cadre contre-normatif, d’un type de comportement ou de jugement (Jouffre et al., 2001). Cette clairvoyance permettrait aux auteurs de favoriser un discours prosocial dans une perspective instrumentale (par exemple, pour éviter une peine plus lourde), mais également comme mesure de protection psychique visant à préserver leur estime de soi d’un effet de stigmatisation, particulièrement important en raison de la nature de leur acte.
Cette étude comporte plusieurs limites : la taille réduite de l’échantillon et son hétérogénéité. En effet, le temps passé en détention ou encore le fait d’avoir été victime de violence, pas uniquement sexuelle, sont autant de facteurs susceptibles d’être associés à des déficits dans le traitement de l’information. L’absence d’un groupe contrôle issu de la population générale limite la possibilité de comparer les scores d’alexithymie et de distorsions cognitives, même si les résultats obtenus vont dans le sens de ceux retrouvés dans la littérature pour une population d’AVS sur mineurs. Enfin, l’utilisation de questionnaires autorapportés apparaît comme une mesure intéressante mais insuffisante de processus cognitifs qui sont particulièrement sensibles à la désirabilité sociale en raison de la thématique étudiée.

De futures recherches pourraient approfondir le rôle de la dimension émotionnelle dans la violence sexuelle. La littérature tend à montrer que le rôle de l’alexithymie sur les comportements violents serait médiatisé par la régulation émotionnelle (Garofalo et al., 2017). De plus, des auteurs précisent l’existence de différents types d’alexithymie en fonction des dimensions déficitaires selon qu’elles portent sur le facteur cognitif ou émotionnel (Bermond et al., 2007), mais également en fonction de l’origine de ces déficits (Messina et al., 2014). Cette perspective favoriserait l’adaptabilité de la prise en charge en fonction des ressources et du contexte des AVS. Enfin, l’orientation des recherches dans le champ de la coercition sexuelle permettrait d’appréhender à la fois un ensemble de comportements plus large et non nécessairement de nature infractionnelle (Benbouriche, 2016).

Conclusion

L’évaluation des compétences émotionnelles chez les AVS reste encore rare, tant sur le plan clinique qu’en recherche fondamentale. Cette étude participe à la compréhension du traitement de l’information émotionnelle chez ces personnes, notre travail soulignant notamment des différences dans ce traitement en fonction du lieu d’évaluation chez les AVS sur mineurs. Comprendre ces différences pourrait permettre d’appréhender ces déficits en fonction du contexte dans lequel ils s’expriment. Cette appréciation en termes d’état, plutôt qu’en termes de trait, pourrait participer à l’adaptation des modalités de prise en charge, notamment au niveau thérapeutique, et favoriser une articulation des risques, des besoins et de la réceptivité des patients comme le préconisent les modèles actuels (Andrews et al., 2011).

Conflit intérêts : aucun

Références

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